Chantal Dufour, plasticienne
Magazine Loft et Décoration, 2021
En héritant de la boîte de peinture de son père, Chantal Dufour n’imaginait pas qu’elle y trouverait la source d’une passion de toute une vie. Cette boîte lui fait découvrir des chemins d’expression où s’entrecroisent les voies de la création et de la liberté. S’étant investie dans un premier temps dans des œuvres sur papier, à l’encre de Chine ou au feutre, elle se tourne très vite vers un autre support, la toile, et se plaît à utiliser l’acrylique.
En toute spontanéité, Chantal Dufour parcourt son imaginaire et le dépose sur ses toiles. Elle se fie à son intuition pour entreprendre une exploration abstraite rythmée par des traits, des formes géométriques, des taches et une palette de nuances primaires. Ses couleurs qui sont à l’origine de toutes les teintes du monde font écho à son enfance, viennent jouer avec la lumière par le biais d’un fond blanc éclatant. Si certains de ses thèmes sont liés à des souvenirs personnels, les regards interrogatifs que renvoient nombre de ses œuvres nous confrontent à notre propre surprise d’être au monde et à nos questionnements sur le sens de la vie. Mais c’est toujours au moyen d’une expression poétique croisant formes épurées et symboles que l’artiste aborde des sujets aussi divers que la place de la science dans le monde, les droits de l’homme ou la liberté d’expression. La plasticienne mêle alors les matières au service d’une expression créative libre pour traiter de thèmes universels, où la question même l’emporte sur la réponse.
Collage, peinture, encre et relief accueillent notre regard lorsqu’il vient se poser sur les œuvres de Chantal Dufour. Ce n’est pas seulement une observation, il s’agit d’une exploration, d’une interrogation, d’un sujet qui mène au débat. Entre visages asexués, toiles engagées et compositions colorées, la créativité de l’artiste nous plonge dans un univers fait de formes, de personnages et de liberté ! Un moment de réflexion inspirant qui nous lie à l’artiste.
Viviane Georget
L’alchimie poétique de Chantal Dufour
Son goût pour la matérialité du support, la couleur, la vibration des lignes et des formes, révèle l’alchimie d’un potentiel à la fois symbolique et abstrait.
Fascinée par les fresques de l’art pariétal, des murs peints et abîmés par le temps comme ceux de Pompéi, l’artiste cherche un effet de relief en travaillant certaines toiles pour y assembler différents éléments tels que le sable, la sciure, le papier de soie, le carton, le plastique ou encore des circuits électroniques, puis les recouvrir de blanc. Après cette première étape, une ligne simple et sinueuse naît en s’inspirant de la surface irrégulière. La couleur vient ensuite.
« La vision de loin du tableau m’intéresse par le mouvement d’ensemble qui s’en dégage, comme d’une carte géographique. »
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Ses œuvres se construisent selon un processus logique, presque par elles-mêmes et peuvent s’envisager comme des structures arithmétiques, des jeux abstraits de l’esprit. « La ligne simple et pure et les écritures mathématiques ont pour moi une beauté formelle et gardent un certain mystère. »
Entre déduction et vision, Chantal Dufour élabore une recherche rythmique à partir de matériaux, de formes, de couleurs et de lumière.
« La décomposition de la lumière blanche en un spectre de couleurs vives me captive. »
La recherche d’harmonie et d’équilibre s’exprime aussi par des éléments figuratifs. Le visage omniprésent ponctue son œuvre. A travers la figure humaine le temps défile, celui de l’Histoire et celui de sa propre vie. « Asexués, jeunes, intériorisés », ses visages sont souvent ceux d’enfants et d’adolescents, mais s’inspirent aussi des totems hiératiques des civilisations anciennes ou sont influencés par des œuvres romanes et de la Renaissance.
L’oiseau est le second élément récurrent, symbole de liberté qui l’a aidée à grandir et s’émanciper.
A travers ces deux éléments figurés, ses œuvres deviennent paradoxalement abstraites et productrices de sens multiples. Tantôt un visage particulier ou un oiseau constitue le thème central d’un tableau. D’autres œuvres en sérialité se fondent sur l’accumulation de ces pièces fondamentales imbriquées dans une cohorte qui peut sembler infinie, selon un schéma où le regardant lui-même est invité à prendre place.
« Par l’abstraction, par l’enchaînement des formes et des idées selon un art du raisonnement qui procède du même esprit ludique que l’assemblage d’un puzzle, nous pouvons nous concevoir comme partie d’un Tout. »
Sa démarche picturale et son interrogation du réel résident dans ce dispositif systémique. Fondé sur des principes de séquences et de répétitions, il génère de multiples variantes et des résultats très divers. Des différences aussi perceptibles qu’invisibles construisent une œuvre argumentée, emplie de poésie : un monde merveilleux et jamais périmé, qui parle, chuchote et interroge.
Canoline Critiks, critique d'art (mars 2016)
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Montserrat Gallery - New York
Artspeak, septembre 1993
Chantal Dufour est une artiste qui prend des risques, faisant appel à ce qu’il y a de plus direct dans l’Art Brut pour créer une peinture qui touche au plus sensible de notre émotion. Comme Victor Brauner et Jean Dubuffet, Chantal Dufour attribue au visage humain des qualités occultes qui nous parlent de l’homme intérieur plutôt que du masque extérieur qu’il présente aux autres. Les visages de Chantal ont de grands yeux expressifs qui peuvent exprimer une joie cachée ou un chagrin indicible, à moins qu’il ne s’agisse des deux à la fois. Peut-être ces visages nous disent-ils que l’un des secrets de la vie est d’apprendre la simultanéité du bonheur et du malheur.
Quels qu’ils soient, les visages de C.Dufour, à la fois mystérieux et terrifiants, possèdent une force envoûtante. Ils sont peints avec vigueur, comportant des zones épaisses de couleurs et divers éléments de collage qui rehaussent l’attrait de leur texture. Chantal Dufour est une artiste qui tend un miroir déformant au spectateur pour l’inviter à observer longuement et en toute honnêteté la vérité intérieure de l’homme ou de la femme et ainsi, peut-être, d’être en paix avec sa peine existentielle de vivre. Ses tableaux sont, vraiment, très particuliers.
Claude LeSuer
Critique pour Mutations
Ateliers d'artistes (1998, Editions Regards)
Bleue, ici profonde et là légère, l’onde envahit la partie basse, dépose sur le rivage des sédiments d’une matière travaillée où s’échoue quelque circuit électronique/coquillage, et s’étale nonchalamment en un bassin nautique qui forme violon. Noir, un trait sillonne cette mer, mais sa sinuosité ne fait concession apparente au pittoresque que pour délimiter des silhouettes aux regards étonnés ou inquiets. Croyez-vous voir une fleur rouge ou, tel un cerf-volant, une double hélice dans les airs ? Ce sont en fait images de molécules fondamentales de la vie. Et à l’oeil attiré vers l’espace s’impose, massive, une tour : à la fois observatoire d’où un Janus de pierre jauge le monde en ombres et lumières et tour-prison qui le fige lui-même en ses enserres.
Christian Bidard